Black tea

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VOST (FR) – De Abderrahmane Sissako

Avec Nina Melo, Han Chang, Wu Ke-Xi
1h 49min | Drame, Romance

Synopsis et critique : Utopia

Il est des sourires trompeurs, de façade, il est des sourires vrais. Ici, ce sont des lapalissades réchauffées. Ici, dans « le » quartier africain de Canton (aujourd’hui on dit Guangzhou), surnommé Chocolate City, « la ville chocolat ». Un surnom qui en dit long sur les préjugés ancestraux, raciaux. Quand on y pénètre, on a un peu la tête qui tourne, plongé dans ce bain de langues de tous les horizons, de toutes les sonorités : des bribes d’anglais, de cantonais, de mandarin se mêlent à ce que l’on croit deviner être du bambara, du wolof… et tant d’autres idiomes méconnus. Ambiance étrange, entre l’exubérance des modes de vie africains et ce qui doit être la retenue des attitudes asiatiques. Mais tout cela n’est que la surface des choses et la réalité est plus métissée, plus complexe. Aya, tout Ivoirienne qu’elle est, semble y frayer comme un poisson, avec sa maîtrise parfaite du chinois, sa pondération qui semble innée. Il faut dire que dans la boutique d’export de thés d’excellence où elle travaille, la maîtrise des moindres gestes, des moindres apparences (et sentiments) est de mise. Qui connait son passé, qui pourrait le deviner ? Hormis nous, spectateurs, qui avons assisté à la première scène, celle de son mariage. Ou plutôt de son non mariage : et on se dit qu’il faut être d’une sacrée trempe pour avoir le cran, dans certaines circonstances, de dire non ! Sans que ce soit appuyé, on devine que c’est suite à un exil forcé qu’elle a débarqué dans cette ville si loin de la sienne, pour ne pas sombrer dans les bas fonds de la déchéance sociale, dans les marges d’une société qui ne laisse pas la place à certaines formes d’émancipation.

Et si Aya s’applique tant dans son travail, c’est aussi, on le découvrira par petites touches douces, parce qu’elle n’est pas insensible au charme de son patron chinois. Est-il sensible, lui, au rayonnement d’Aya ? Il n’en laisse rien paraître en tout cas. Il y a la différence d’âge, le lien de subordination, le regard de son fils, celui des vendeuses, celui des passants… Et l’on sent Aya attentive aux moindres soupirs, aux moindres signes lors des cours de dégustation de thé que l’homme lui distille avec détermination, comme si un jour la jeune femme devait devenir son bras droit, son héritière. Tandis qu’elle semble boire secrètement le son de ses mots, l’odeur de sa peau en même temps que le thé dans lequel elle trempe les lèvres.
Vous l’aurez perçu, c’est un film d’une grande et délicate sensualité, qui donne des frissons charnels, où avec Aya on se prend à attendre un geste, à espérer que les digues de la bienséance cèdent et que la passion emporte tout sur son passage… Mais on vous le rappelle, c’est un film du cinéaste Mauritanien Abderrahmane Sissako, réalisateur des magnifiques et très engagés Bamako (2006) et Timbuktu (2014). Des films d’une lucidité implacable qui dénonçaient la colonisation, les injustices, les fanatismes… et donnaient sa juste place à la parole des femmes.

Black tea n’est pas en reste, bien loin des images d’Épinal, des contes de fées illusoires, des bluettes insipides. Il y a du sens au cœur de tant de beauté, une lutte ouverte contre les préjugés, les racismes, pour la quête de la liberté !

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