Prima la Vita

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VOST (IT) – De Francesca Comencini

Avec Fabrizio Gifuni, Romana Maggiora Vergano, Anna Mangiocavallo

12 février 2025 en salle | 1h 50min | Drame

Synopsis et critique : Utopia

« Être la fille de… », la fille d’un père plus que connu, reconnu. S’en défendre et pourtant irrésistiblement s’engager dans le même sillage. Redouter la comparaison, de ne pas être à la hauteur. Parvenir à se faire un prénom, courir après une inaccessible légitimité… Vouloir s’émanciper à tout prix de celui que petite on adorait comme un Seigneur tout puissant. On imagine les tempêtes sous un crâne. Les va-et-vient perpétuels, la peur de déchoir aux yeux de celui qu’on aime tant…
Francesca Comencini – fille du grand cinéaste Luigi Comencini – part d’une forme d’intimité pour atteindre un propos universel dans lequel chacune, chacun peut se reconnaître. Et son film tout en pudeur, en lucidité bienveillante, nous touche au plus profond, monte progressivement en puissance, et nous reste en mémoire longtemps après que la lumière du projecteur se soit éteinte. S’il est question de son enfance, de ce long chemin pour la quitter, elle n’en fait pas un récit linéaire narcissique qui emprisonnerait inéluctablement son propos dans une forme de biopic poussiéreux et voyeuriste. Bien au contraire, elle livre un tableau impressionniste, qui nous laisse la place de nous glisser dans ses interstices… d’y glisser notre propre enfance, notre propre rapport à la filiation, à la transmission. Elle procède par touches subtiles, multipliant les pistes, ne les brouillant jamais.
C’est assez passionnant de découvrir au travers du regard de sa propre fille celui qui fut appelé « le cinéaste de l’enfance ». Entre elle et lui, le reste du monde n’existe pas. Ou plutôt Francesca Comencini fait le choix radical de l’ignorer afin qu’il ne vienne à aucun moment parasiter son sujet. Fi de ses sœurs, de sa mère, de la maison bouillonnante de vie ! Elle nous immerge dans un presque huis-clos père-fille, dans la puissance de leur relation au long cours, dans les choses indicibles, lumineuses, les non-dits criants qui surgissent en grandissant. Elle est d’abord cette jeune marmaille, qui cherche la façon de s’imposer dans un univers paternel terriblement exigeant, de s’y frayer une place, absorbant inconditionnellement ce qui lui est enseigné : une forme de dissidence magique, de fantaisie rêveuse ; la façon de dompter ses peurs, le refus des injustices. Que de scènes alors d’une complicité délicieuse ! Les premiers souvenirs fondateurs, qui nous entraînent sur leurs terrains de jeux entre école et tournages (celui de la série télévisée Les Aventures de Pinocchio). Quelques ellipses… Puis, trop tôt, les monstres de l’enfance, les dents de l’énorme cétacé qui hante la petite Francesca, qui céderont la place à ceux, plus réalistes, qui hantent l’Italie. Ce sont les années de plombs, les attentats, l’enlèvement d’Aldo Moro… La fin d’une forme d’insouciance, toute une génération percutée par cette atmosphère délétère, violente. La plongée dans l’adolescence en même temps que dans l’héroïne… Hommage respectueusement irrévérencieux au paradis perdu de l’enfance.

C’est un film sans compromission sur l’errance humaine, sur la difficulté d’être, la difficulté d’exister par soi-même, mais surtout sur la réconciliation : le temps qu’il faut (Il tempo che ci vuole, titre original) pour se sentir à la hauteur, ne plus rien renier ! Le temps nécessaire pour enterrer la hache de la colère, pour accepter l’héritage, sans se laisser submerger, anéantir par lui. Immense déclaration d’amour au cinéma, à un grand cinéaste, à un père malgré ses imperfections, Luigi Comencini, par sa fille devenue à son tour une grande cinéaste.

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