VOST (US) – De Karim Aïnouz
Avec Alicia Vikander, Jude Law, Simon Russell Beale
2h 00min | Drame, Historique
Synopsis et critique : Utopia
Henry VIII, qui règne sur l’Angleterre (et l’Irlande) de 1509 à 1547, a tout de Barbe-Bleue (et il est bien possible après tout qu’il ait inspiré le conte horrifique de Charles Perrault). « Divorced, beheaded, died. Divorced, beheaded, survived ! » La petite comptine bien connue des écoliers d’outre-Manche – et qui leur permet de mémoriser le destin plus ou moins tragique de chacune de ses six épouses – fait tout de même froid dans le dos. Dans l’ordre : Catherine d’Aragon, Anne Boleyn, Jeanne Seymour, Anne de Clèves, Catherine Howard et l’ultime, Catherine Parr. Six femmes, trois mortes dont deux décapitées sur ses ordres, ça ne dessine pas exactement le portrait d’un prince charmant, d’un mari aimant, pas plus que d’un roi attentionné, amoureux et poète – même si la légende populaire veut qu’il ait composé la chanson mélancolique Greensleeves à l’attention d’Anne Boleyn, qui ne partageait pas ses nobles sentiments… On se doute aisément qu’il fallut à Catherine Parr, promue « heureuse » élue après une telle série de ruptures et de drames, une sacrée force de caractère pour oser prendre la suite, tenir tête à un Souverain obsédé par la nécessité de voir un héritier mâle lui succéder sur le trône, s’imposer comme Régente en son absence et naviguer à vue dans le marigot des intrigues, jeux de pouvoirs, complots, coups bas, y compris religieux. De fait, côté religion, la situation matrimoniale pour le moins versatile du Roi a singulièrement compliqué la donne : l’Angleterre est officiellement catholique, avec tout son tralala hiérarchique de dignitaires en robes, mais a rompu avec la Papauté. La Réforme gagne du terrain mais reste hérétique – or Catherine est secrètement proche d’Anne Askew, martyre protestante, qui ambitionne de diffuser les textes sacrés traduits en langues populaires, pour les rendre directement accessibles au plus grand nombre. Ce qui, on s’en doute, ne fait pas vraiment l’affaire des dignitaires religieux qui conseillent le Roi. Pourtant, régente du royaume pendant les campagnes militaires de son époux, la Reine a habilement manœuvré sur l’échiquier politique pour mener à bien les réformes qui lui tenaient à cœur tout en ménageant les susceptibilités des uns et le pouvoir des autres. Avec le « retour du Roi » – un roi énorme, violent, blessé, inquiet, irascible –, c’est une nouvelle partie qui commence pour elle. Beaucoup plus risquée puisque, comme pour ses prédécesseures n’ayant pas eu l’heur de conserver les faveurs de leur royal époux, c’est ni plus ni moins que sa tête qui est en jeu. Et c’est là précisément que commence le film de Karim Aïnouz.
Reconstitution historique soignée, rythme haletant, thriller sombre et âpre à la violence difficilement contenue, Le Jeu de la Reine est une plongée étouffante – et passionnante – au cœur d’une Cour d’Angleterre sale, austère, dangereuse, gangrenée au propre comme au figuré, débarrassée de tout son décorum romantique pour petites filles modèles. Un peu comme Les Tudor (fameuse série portée par Jonathan Rhys-Meyers) relookée, avec une recherche de réalisme stylisé, par les décorateurs de Game of Thrones. Dans les recoins sombres, les alcôves éclairées à la bougie, derrières les portes dérobées, beaucoup de périls guettent la jeune reine traquée sans répit par ses ennemis. Découverte, on s’en souvient, dans le rôle d’une autre souveraine progressiste (celle du Danemark) dans le magnifique A royal Affair de Nikolaj Arcel, Alicia Vikander incarne ici avec une feinte fragilité une Catherine puissante, héroïque, en butte au patriarcat et à une société qui fait bloc, dont l’hostilité croit au fur et à mesure que décline la santé du monarque monstrueux et pourrissant (formidable Jude Law) – et qu’explosent ses ultimes accès de violence.