[Cinéma] – VOST (DE) – De Christian Petzold
Avec Thomas Schubert, Paula Beer, Langston Uibel
6 septembre 2023 en salle / 1h 42min / Drame, Romance
+ Origines d’un monde – 2022/FR/5mn (court métrage précédant le film)
Synopsis et critique : Journalzebuline.fr
Christian Petzold est sans doute le plus passionnant des cinéastes allemands actuels (on citerait aussi volontiers Maren Ade, auteure du sensationnel Toni Erdmann, mais elle n’a pas fait de film depuis – elle se consacre essentiellement à la production, notamment du tout récent Les Herbes sèches de Ceylan, on peut l’admirer pour ça aussi !). Il a débuté sa carrière en 1995 mais c’est dans les années 2010 qu’il s’est véritablement imposé avec Barbara (2012) puis Transit (2018) et Ondine (2020). Le Ciel rouge est d’ailleurs présenté comme le deuxième volet d’une tétralogie consacrée aux quatre éléments de la nature : après l’eau dans Ondine, voici le feu…
« Le film s’inspire de ce qui est un véritable genre dans de nombreux pays, à savoir le film d’été : des jeunes gens qui s’en vont passer l’été ensemble quelque part. Dans le cinéma américain, cela donne souvent des films d’horreur : une région inconnue, un raccourci, une maison dans les bois, et l’horreur commence. Dans le cinéma français, les films d’été avec des jeunes sont souvent des sortes d’“éducations sentimentales” : on est à la plage, les classes se mélangent, les gens passent à l’âge adulte. Et comme les Allemands aiment rêver, j’ai voulu que ce film d’été allemand commence dans la tradition des rêves romantiques allemands : la forêt, le demi-sommeil, la musique, deux jeunes hommes qui roulent en voiture et se perdent. Ils sont à la dérive. Avec ce début, rien n’est encore posé, si ce n’est cette chose-là : c’est du cinéma. » (Christian Petzold)
Une forêt, une station balnéaire de la Baltique (sur le territoire de l’ex-RDA, le film à plusieurs reprises montre que la fracture entre l’Ouest et l’Est est toujours bien présente). Loin des villes, un paradis estival qui devrait être d’insouciance mais au-dessus duquel volent les hélicoptères des soldats du feu. Deux amis, Felix et Leon emménagent dans une villa prêtée par la mère de Felix. Le premier veut prendre du bon temps et trouver une idée de sujet pour un porte-folio photo qu’il doit présenter pour son entrée aux Beaux-Arts. Le second doit finir le manuscrit de son deuxième roman, titré pour l’instant Club sandwich. Tout oppose les deux jeunes hommes. La classe sociale, le physique, le caractère. Felix est ouvert, positif, sympathique. Leon est bougon, négatif, maladroit. Tout à la fois vaniteux – il se drape dans la toge de l’ « artiste » qu’on ne doit pas déranger dans sa création, et jaloux de l’aisance des autres à vivre. Entre repli et envie. Anxieux des jugements de son éditeur, qui doit venir le voir dans les jours qui viennent, et de ses lecteurs. Le réalisateur, qui ne manque pas d’autodérision, a affirmé qu’il s’identifiait au masochisme de ce personnage.
Le film commence comme une comédie de caractère et de situation, autour des réactions cocasses de Leon face à l’enchaînement des contrariétés. Panne de voiture, maison déjà occupée par Nadja, nièce de la propriétaire et, cerise sur le gâteau, l’intrusion de Devid, athlétique surveillant de baignade aux solides appétits sexuels. Entre l’écrivain, le photographe, le maître-nageur et la jeune femme, vont se nouer des rapports amicaux, amoureux. Un coup de foudre refoulé. Un coup de foudre assumé. Charme solaire de Nadja qui pédale par les chemins et échappe à tous les regards convenus, sensualité des corps qui bronzent, jouent, font l’amour…
Le Ciel rouge est un film faussement simple, faussement lisse. Un film sur le regard. Celui de Léon qui se trompe systématiquement sur la réalité qu’il observe. Celui de Nadja qui devine tout. Celui de Felix qui photographie ceux qui regardent la mer, de face et de dos. Celui du réalisateur, enfin, qui nous mène avec une maestria confondante, au fil d’une intrigue imprévisible, jusqu’au bout d’un film merveilleux, et in fine profondément émouvant.