VF – De Claire Burger
Avec Lilith Grasmug, Josefa Heinsius, Chiara Mastroianni
11 septembre 2024 en salle | 1h 45min | Comédie, Comédie dramatique, Drame
Synopsis et critique : Utopia
Une histoire entre la France et l’Allemagne, aller et retour. Une histoire d’échange entre les deux pays, une histoire portée par deux jeunes femmes, l’une, Fanny, vivant à Strasbourg et l’autre, Lena, habitante de Leipzig dans l’ancienne Allemagne de l’Est. À travers ce choix, il s’agissait aussi de montrer l’Allemagne sous un angle peu vu au cinéma, traditionnellement plus enclin à filmer Berlin, Munich ou Hambourg, les grandes métropoles de l’Ouest.
Au début, on est un peu comme Fanny qui découvre Leipzig et sa famille d’accueil : on questionne nos repères, on avance à tâtons, à la recherche de quelque chose de familier. Fanny est accueillie par Suzanne (Nina Hoss), la mère de Lena, sa correspondante, venue la récupérer à la gare. Très vite on sent bien que Fanny cherche sa place aussi bien dans ce nouvel espace que dans sa propre existence. Elle découvre une famille aussi bancale que la sienne. Lena ne semble pas trop vouloir de cette étrangère sur son territoire. Les deux se toisent, se tournent autour, se taclent un peu, sèchement, comme savent si bien le faire les grands ados. La découverte manque de tourner court… Et puis la glace se fissure, au détour d’un regard, d’une phrase. Fanny se livre un peu et attire l’attention de la très sauvage Lena, qui lui laisse une chance… Après tout, au-delà de la barrière de la langue, elles ne sont peut-être pas si différentes l’une de l’autre : leurs mères, par exemple, semblent traverser la même zone de turbulence.
On sent dans cette première partie du film tout le travail de recherche effectué par Claire Burger et son équipe, dans une volonté profonde de représenter l’Allemagne loin des clichés et de creuser les aspérités d’une génération qui interroge beaucoup son passé pour se définir. Le jeu des comparaisons entre culture allemande et française, si elle n’est pas un cheval de bataille de la cinéaste, est pourtant inévitable. Lena parle un français impeccable là où sa camarade balbutie son allemand. Et si la classe française se manifeste par son insolence et son instabilité, celle de Lena semble ouverte, avec une envie de discussion et de débat… Lena se démarque par sa vitalité, ses engagements multiples et sa soif d’en faire plus pour améliorer le monde qui l’entoure, elle fait preuve d’une belle maturité, à la fois vis-à-vis de sa génération, mais aussi par rapport à sa mère qui ne parvient pas à dépasser une douloureuse séparation.
Mais au-delà de son analyse toujours juste des deux sociétés et des relations entre les deux générations, Langue étrangère est avant tout un film sur le désir et l’éveil amoureux chez les deux jeunes héroïnes. Les mensonges dans lesquels s’enferme Fanny ne sont là que pour essayer de construire un personnage qui pourrait plaire à Lena, notamment en termes d’engagement politique, terrain qui ne l’intéressait pas du tout avant de faire sa rencontre. Pour Fanny, mentir est plus facile que d’assumer la réalité, qu’elle pense trop simple et peu séduisante. Claire Burger réussit magnifiquement les scènes de dialogue qui définissent le caractère de chacune, leur sensibilité, jusque dans les non-dits.
Josefa Heinsius, interprète de Lena, dont c’est le premier rôle au cinéma, est une véritable découverte. Son dialogue à cœur ouvert avec le père de Fanny est un grand moment. Il est bien question d’amour ici, et pas seulement d’amitié, comme une métaphore de ce couple franco-allemand qui ne cesse de se regarder sans jamais vraiment se comprendre. Claire Burger dresse une radiographie d’une rare précision sur tout ce qui nous sépare, et qui pourtant devrait nous rapprocher.