La chambre de Mariana

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VOST (UKR) – De Emmanuel Finkiel

Avec Mélanie Thierry, Artem Kyryk, Julia Goldberg
23 avril 2025 en salle | 2h 11min | Drame, Historique

Synopsis et critique : Utopia

Quel étonnement de voir l’actrice Mélanie Thierry jouer en ukrainien, une langue qu’elle ne maîtrise, ni ne comprend. On ne s’en douterait pas une seconde tant elle est absolument bluffante ! Elle fait plus qu’incarner un personnage, elle le devient. Elle est Mariana, cette jeune femme au verbe qui déraille, à la voix un peu brisée, comme ses illusions, comme la vie autour d’elle. Pas le genre de créature fréquentable ni à qui, à plus forte raison, on confierait son petit garçon. Et pourtant… c’est ce à quoi se résout la mère d’Hugo, sans même en avoir pleinement expliqué à ce dernier les raisons. La voilà qui lui fait traverser en catimini la clôture de la maison qui abrite Mariana, remet entre ses mains une valise, quelques bijoux en cas de coup dur, son avenir… Hugo veut se montrer bravement obéissant et pourtant quelque chose en son cœur se déchire. Bientôt sa vie d’avant, ceux qu’il aime, son espiègle cousine Anna n’apparaitront plus que dans ses souvenirs, vont peupler son imaginaire, parfois aussi réels que sa chair et ses os. Ses os qui s’entrechoquent lorsqu’il grelote de froid, d’incertitude, en carence de tendresse. Le confort physique comme moral, chez Mariana, est plus que spartiate : ni parole ni lit douillet pour se réconforter. C’est simplement que Mariana sait mieux y faire avec les hommes qu’avec leurs bambins – et qu’elle sait le danger qu’elle court à cacher ce petit gamin encombrant. Les règles sont vite établies : Hugo aménage dans le placard de la chambre de Mariana, coincé entre ses robes et sa valise. Avec l’interdiction de sortir du réduit, de s’approcher des fenêtres, de faire le moindre bruit, pas même exhaler un soupir… Le monde entier doit ignorer sa présence. Pourquoi ? Mariana n’en dira pas plus que ne l’a fait son amie d’enfance en lui confiant la chair de sa chair. Il n’est nullement temps d’expliquer l’inexplicable, l’impardonnable, à un si petit enfant. Tout semble préférable à l’évocation du danger, de la peur, comme si les taire permettait de les conjurer.

Progressivement Hugo assimile les changements du monde. Depuis sa cachette inconfortable lui parviennent des rumeurs, des sensations, des lueurs aux travers des rares interstices qui le rattachent à l’extérieur. Sous ses yeux se déploient parfois des scénettes dont on peine à savoir si elles sont réelles ou imaginaires. De l’intérieur de son placard, Hugo espionne également un peu Mariana, le seul lien de chair qui le relie encore à l’humanité, fut-elle déglinguée, et essaye d’apprivoiser cette étrange créature chargée d’une sensualité déroutante.
Ce qui devait n’être qu’un refuge temporaire semble devoir s’éterniser dans la chambre de celle qui accueille chaque jour de nouveaux clients. Mariana, qui parle souvent d’elle-même à la troisième personne, a de fait un rôle un peu à part dans la société. Prostituée dans une maison close, « femme à soldat » (quelle que soit leur nationalité…) – un statut à part qui lui confère, un temps, un semblant d’immunité.

Cela se passe en Ukraine, en 1943. Tout comme Hugo, enfant encagé, enfant témoin, on devine le cycle des saisons et la montée du danger et des extrémismes plus qu’on ne les voit. Cette sombre Histoire éternellement recommencée, qu’on l’écrive avec un petit ou un grand H, de ces enfants qu’on cache pour mieux les sauver, on croit la connaître par cœur. Pourtant elle est rarement filmée au travers du regard des premiers concernés. Trop casse-gueule, de flirter avec le tire-larmes et la mièvrerie en embuscade. C’est pourtant ce que réussit Emmanuel Finkiel, haut la main, avec cette Chambre de Mariana, en nous offrant un récit sobre et empathique, d’une grande élégance, saisissant.

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