Jeunes mères

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VF – De Jean-Pierre Dardenne, Luc Dardenne

Avec Babette Verbeek, Elsa Houben, Janaïna Halloy Fokan
23 mai 2025 en salle | 1h 45min | Drame

Synopsis et critique : Utopia

Ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre. L’œuvre cinématographique des frères Dardenne pourrait faire sienne ces mots extraits de deux alexandrins du poème de Paul Verlaine : toujours reconnaissable et toujours singulière, un même langage mais jamais les mêmes histoires, toujours cette même technique du plan séquence, mais jamais les mêmes trajectoires humaines. Avec toutefois une permanence au cœur de ce processus créatif, comme un socle solide que les années ne semblent pas ébranler, comme une exigence qui ne s’essouffle pas : cette puissante empathie pour leurs personnages et, à travers eux, pour l’humanité profonde qu’ils incarnent. Comme un hommage discret et forcément involontaire à Emilie Dequenne, trop tôt disparue en mars dernier, c’est bien l’âme de Rosetta qui plane sur ce Jeunes mères… pour la force et la vulnérabilité, pour la soif d’espoir qui s’écrase sur la dureté du monde, pour le besoin, toujours, de ne pas tomber (ou retomber) dans le gouffre. Pourtant, c’est résolument vers la lumière que le film se dirige et c’est bien une soif de lumière qui anime ces jeunes mères et qui donne à ce film majeur à la fois sa trajectoire, son rythme et sa destination finale.

Elles ont quinze, seize ans à peine… l’âge du lycée, des copines, de l’insouciance et des rêves. Elles ont quinze, seize ans mais sont déjà, ou bientôt, mères. De Julie, Perla, Jessica et Ariane, on ne saura pas grand-chose et le film les accueille comme elles arrivent dans cette « maison maternelle », avec leur nouveau-né ou leur ventre rond. Ici, on prend soin d’elles et de leurs bébés, sans jugement, sans regard moralisateur, elles qui ont dû si vite quitter le monde de l’adolescence pour endosser cette responsabilité bien trop lourde à porter et qui ont parfois même été rejetées par leurs familles. Ici, il y a un cadre, des règles à respecter, autant de repères qui leur ont tant fait défaut et qui aujourd’hui sont là pour les accompagner dans leurs choix de vie. Et d’abord : garder leur enfant ou pas.
Comme un noyau central autour duquel vont graviter les personnages, chacune s’en éloignant mais y revenant toujours, cette maison sera le point d’ancrage du film. Comme à chaque fois dans le cinéma des frères Dardenne, c’est au plus près des corps en mouvement que se construisent les récits croisés des trajectoires des jeunes héroïnes, comme un kaléidoscope aux multiples reflets révélant les blessures, les espoirs, les rechutes et les choix. Julie a connu la violence de la drogue et veut plus que tout construire un foyer avec son amoureux. Perla poursuit avec naïveté l’amour du très jeune père de son fils. Jessica, sur le point d’accoucher, cherche avec acharnement la mère qu’elle n’a jamais connue. Ariane veut que son enfant grandisse dans un environnement stable et aimant.
Derrière ces histoires singulières, il y a bien sûr la question de la construction du lien d’attachement entre ces très jeunes mères et leurs petits, mais aussi la reproduction de schémas familiaux dysfonctionnels, les dégâts engendrés par les carences affectives, la pauvreté ou les addictions et le formidable travail d’accueil inconditionnel et de réparation réalisé par les travailleurs sociaux.
« On n’explique jamais nos personnages. Ils doivent avoir en eux un noyau, quelque chose qui résiste aux interprétations les plus savantes. ».
Elle est là, la force du cinéma des frères : raconter tant de choses sur notre société et sur notre humanité avec si peu d’intellectualisation, si peu d’explications, si peu de certitudes. Et une fois de plus, leur film est magnifique.

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