Ce nouvel an qui n’est jamais arrivé

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VOST (RO) – De Bogdan Mureşanu

Avec Adrian Văncică, Nicoleta Hâncu, Emilia Dobrin
30 avril 2025 en salle | 2h 18min | Comédie dramatique

Synopsis et critique : Utopia

« Hiver. Lèvres gercées. Pousser le chauffage. J’envie les simples Roumains qui n’ont pas besoin de chauffage dans de petits appartements où ils peuvent se serrer l’un contre l’autre. Ces villas sont si grandes qu’il y fait plus froid que dehors. »
(Carnets Secrets, Elena Ceausescu)

Voilà un film qui a su trouver un titre intrigant, du moins à nos oreilles d’Europe occidentale. Pour les Roumains – du moins les plus anciens – l’hiver et le nouvel an auquel il est fait référence sont et resteront à jamais inoubliables. C’est en effet le 21 décembre 1989, à quelques jours de Noël, que le monde a basculé à Bucarest. Le pays est alors dirigé depuis quinze ans d’une main de fer par le dictateur communiste Nicolae Ceausescu, qui a depuis peu encore durci la répression contre tous les opposants, si c’était possible. Ça l’était. Violence institutionnelle qui trouve son apogée dans le massacre de Timisoara, qui voit la police tirer à balles réelles sur les manifestants.
Ces quelques jours qui constituent une des révolutions les plus rapides de l’Histoire ont été largement racontés dans le cinéma roumain (Comment j’ai fêté la fin du monde, 2006, de Cătălin Mitulescu, 12h08 à l’Est de Bucarest, 2007, de Corneliu Porumboiu…). Mais ce premier film emballant (dans tous les sens du terme, tant par son rythme que par l’euphorie qu’il procure) innove en prenant le parti de relater les événements sur un registre tragicomique inattendu – et par le petit bout de la lorgnette, sans s’appesantir sur l’enfer que fut pour ses habitants la Roumaine durant toute la décennie 1980.

Le réalisateur Bodgan Mureșanu nous invite à suivre une poignée de personnages plongés bon gré mal gré dans la tourmente. Notamment un apparatchik du régime, qui doit déménager sa mère depuis les vieux quartiers (que dans sa folie des grandeurs le dictateur a décidé de faire raser) ou cet étudiant qui veut quitter le pays en traversant le Danube. Mais il y a surtout, dans un registre férocement satirique, cette famille en panique qui doit coûte que coûte retrouver – avant qu’elle ne tombe entre de mauvaises mains – la lettre au Père Noël de leur garçonnet, qui a souhaité par écrit la mort de Nicolae ! Et cette improbable équipe de télévision largement pourvue en bras cassés, à qui été confiée une mission impossible : faire disparaître de l’image l’héroïne de la cérémonie préenregistrée des vœux de Nouvel An – la comédienne venant de passer « à l’Ouest ».
Au-delà du comique de situation savoureux et savamment dosé, le film distille à merveille l’atmosphère paranoïaque dans laquelle se débattait la société roumaine : il se disait alors, à moitié en plaisantant (à moitié seulement), qu’un dixième des Roumains travaillaient pour la Securitate, tandis qu’un quart étaient des indicateurs… Atmosphère paranoïaque et univers proprement kafkaïen… Drôle, grave, désespéré, le film tient également une improbable note positive, sincèrement joyeuse, dont on a bien besoin par les temps qui courent : il rappelle incidemment comment une petite étincelle, suivie d’un élan collectif, peut faire soudainement basculer une situation inextricable – et faire advenir au terme d’une longue nuit désespérée des lendemains qui chantent. La réalité, on le sait, sera un chouïa moins lumineuse, mais c’est une autre histoire – qui nous est contée depuis lors par un tout autre cinéma roumain, celui de la désillusion.

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