VF – De Jesse Eisenberg
Avec Jesse Eisenberg, Kieran Culkin, Will Sharpe
26 février 2025 en salle | 1h 29min | Comédie dramatique
Synopsis et critique : Utopia
Acteur connu du cinéma indépendant US (vu notamment dans The Social network de David Fincher et Café Society de Woody Allen), le touche-à-tout Jesse Eisenberg est par ailleurs dramaturge et écrivain, auteur de romans, nouvelles et autres textes publiés régulièrement dans des revues littéraires américaine. Il est donc également auteur-réalisateur et signe avec A real pain, son deuxième long métrage (après le toujours inédit When you finish saving the world, en 2022), un véritable joyau de comédie dramatique. En d’autres termes, un parfait condensé de drôlerie, d’émotion et de subtilité, qui vous fait chavirer avec le sourire, en ayant l’élégance suprême de ne jamais racoler grossièrement l’émotion facile – et factice – que son sujet pourrait inspirer. Subtilité, élégance et, donc, intelligence. A real pain, traduisible par « une véritable douleur » ou encore par « un vrai boulet », raconte l’odyssée minimaliste de deux cousins quarantenaires, David et Benji, juifs New-yorkais, en voyage organisé dans la vieille Europe sur les traces de leur grand-mère récemment décédée, née en Pologne et rescapée de la Shoah.
À partir du thème assez peu rigolo du deuil familial sur fond de génocide, Eisenberg met en scène un road movie où les séquences légères et loufoques alternent avec d’autres plus sérieuses, plus posées, empreintes d’une gravité que les deux quadra new-yorkais, temporairement déracinés, peinent à assumer. Nos comparses suivent un petit groupe de touristes qui ont comme eux signé avec un tour-operator mémoriel, pour des raisons diverses et variées : un couple de retraités, une bourgeoise divorcée, un jeune Rwandais rescapé d’un autre génocide et converti au judaïsme… Leur guide est un jeune chercheur goy, érudit et patient, dont la passion pour les statistiques a le don de mettre hors de lui un Benji plus préoccupé de vérité humaine que de réalités chiffrées. Ce petit échantillon d’humanité permet à Eisenberg de mettre en lumière les failles émotionnelles des deux héros, aux caractères diamétralement opposés, sous le regard tour à tour effaré ou attendri de leurs compagnons de voyage. David, jeune père réservé et anxieux, très absorbé par son boulot de publicitaire pour le web, est en constant décalage avec Benji, extraverti et égocentrique, intuitif à l’extrême, imprévisible mais charismatique. Leur cohabitation met en lumière des tensions inavouées entre eux qui ont pourtant grandi ensemble, qui ont longtemps été inséparables avant que leurs choix de vie ne les séparent irrémédiablement. Le film jongle ainsi habilement entre l’humour et l’émotion, offrant des moments intenses qui culminent lors d’une poignante séquence de dîner où sont réunis tous les participants de ce drôle de voyage organisé.
Grâce à une écriture fine et à une mise en scène subtile, Jesse Eisenberg nous parle en ami de la mémoire, de la famille et du poids de l’héritage. Mais aussi de la perte de l’insouciance et du passage à l’âge adulte avec ce que cela comporte d’abandon et de renoncement. Il dresse le portrait de deux jeunes adultes américains aussi proches que dissemblables, en pèlerinage forcé dans une Europe qui leur est étrangère, aux prises avec une histoire dont ils ne savent pas trop quoi faire. En quête de retrouvailles entre eux, ce qui est sans doute le sens de l’héritage (l’obligation morale de faire ce voyage) que leur a laissé leur grand mère bien aimée. Une vraie belle surprise.