VOST (EN) – De Kelly O’Sullivan, Alex Thompson
Avec Keith Kupferer, Katherine Mallen Kupferer, Tara Mallen
30 avril 2025 en salle | 1h 55min | Comédie dramatique, Drame
Synopsis et critique : Utopia
Prologue… Une traduction trop hâtive du titre Ghostlight (lumière fantôme) pourrait faire croire à une œuvre du genre fantastique, alors que la seule chose réellement fantastique dans ce film magnifique est tout simplement la vie et la puissance du théâtre, sa capacité à faire vibrer, réfléchir et transformer profondément les êtres. La ghost light, dans les pays anglo-saxons, c’est la petite veilleuse placée au centre d’une scène de théâtre, telle un phare dans la nuit pour guider les humains, éviter qu’ils ne trébuchent dans le noir. Une fois les théâtres fermés, les ghost lights sont réputées apaiser les âmes des morts qui les hantent, leur permettre de jouer leurs propres pièces sans éprouver le besoin de venir interférer dans celles des vivants. Restées constamment allumées malgré les confinements, elles sont devenues durant la pandémie de Covid le symbole de la résistance du spectacle vivant.
Acte 1
Rien que de plus banal. Dans le flux infernal des voitures, nous sommes à Chicago, des ouvriers œuvrent sur la voie publique. Éternels tâcherons de l’ombre, malgré leurs gilets de sécurité d’un orange flashy et leurs bruyants marteaux-piqueurs… Dan fait partie de ces invisibles, un sans-grade, un sans-vague qui ne doit pas troubler la paix des contribuables. Avec ses cheveux grisonnants, son port massif, Dan est une force tranquille aux airs de bon gros nounours rassurant. Se méfier de l’eau qui dort ! Ce jour-là, quand il sort de ses gonds, à juste titre face au comportement irrespectueux d’un conducteur, son collègue n’en croit pas ses yeux… Dan non plus. On le surprendra à regarder ses propres mains, comme effrayé, se demandant peut-être jusqu’où elles auraient pu aller. Ce dérapage, comme on le comprend ! Ses supérieurs le comprendront peut-être moins…
Acte 2
La rencontre improbable… Celle avec un autre univers, pourtant à un pas du chantier. Le pétage de plomb de Dan n’est pas tombé dans les oreilles d’une sourde. Ce petit bout de femme de Rita, avec sa bouille mutine à la Giulietta Masina, qui quelques instants plus tôt râlait contre les travaux, n’a pas les yeux dans sa poche, elle sait regarder au-delà des apparences, percevoir un mal être intériorisé au delà du virulent coup de colère. Comédienne et metteuse en scène de théâtre, jadis professionnel et dans le cas présent amateur, la voilà qui enrôle notre homme, le propulse sans explication dans sa troupe en train de répéter Roméo et Juliette… Dan, comme hébété, se laisse faire… C’est qu’elle en impose Rita, même si elle fait le tiers de sa taille. Il a beau protester en soulignant qu’il n’est pas acteur, ne sait pas jouer, elle lui cloue le bec d’un définitif : « Tu sais lire ! ». Comme si cela faisait de tout un chacun un comédien né ! Rita est l’incarnation de la force de conviction, celle qui fait oublier aux spectateurs les incohérences d’une intrigue, l’inadéquation entre le physique d’un acteur et celui du personnage qu’il incarne… L’alchimie incroyable qui se crée entre les membres d’une troupe, ses spectateurs quand ils acceptent de se laisser embarquer, fera le reste…
Acte 3
La famille… Comment Dan peut-il raconter à son entourage ce qui lui arrive ? Que dire ? Alors il ne dira rien. Créant ainsi les conditions d’un quiproquo pour sa femme Sharon, sa fille Daisy. Car forcément, son comportement inhabituel finira par entraîner, si ce n’est des suspicions, du moins des interrogations. D’autant que Daisy (personnage magnifique) fait des siennes partout où elle passe, mue par une sourde colère provocatrice qui cache aussi bien d’autres sentiments.
L’Acte 4, nous n’en dirons rien, et surtout nous tairons le dénouement absolument renversant de cette merveilleuse aventure, qui nous parle avant tout de bienveillance face à nos incapacités à communiquer, à nous dévoiler. Et de la faculté salutaire du théâtre – de l’expression artistique en général – à nous propulser vers le meilleur, vers une forme de transcendance, de résilience réparatrice. Ce film touché par la grâce – qui nous rappelle le meilleur du cinéma indépendant américain des années 1970 – nous raconte que l’art est peut-être une de ces loupiotes, une de ces ghost lights, qui peuvent aider l’humain à ne pas sombrer au plus profond des ténèbres, de l’obscurantisme.