Dans le cadre des ciné-débats « Découverte du monde… Nature & société », la Maison des jeunes et de la culture de Wingen-sur-Moder et le Parc naturel régional des Vosges du Nord, vous proposent un ciné-débat :

LE TEMPS DES FORETS
De François-Xavier Drouet

Jeudi 28 mars 2019 à 2015

*Salle de spectacle du collège Suzanne Lalique Haviland (29 rue de Zittersheim)

Genre Documentaire / Date de sortie 12 septembre 2018 (1h 43min)

Sélection aux Festival international du film de Locarno (Suisse 2018), Festival international du film francophone (Namur, 2018), Festival du Film Français de CORK (Irlande, 2019)

François-Xavier Drouet vit sur le plateau de Millevaches. Diplômé en sciences politiques, en anthropologie et en réalisation documentaire, il suit à travers ses films, la jeunesse française et belge. En 2017, il réalise Les bois noirs, un film sur la forêt limousine « Les bois noirs ». « Le temps des forêts » creuse le sillon.

Débat en présence de Prosilva France, de l’Office National des Forêts et du Parc naturel régional des Vosges du Nord

La forêt, c’est magique. On s’y enfonce avec un sentiment d’excitation, préparant l’aventure de s’engager hors des sentiers connus et la peur confuse de s’y perdre. Et une impression d’apaisement ouaté tellement les bruits, les odeurs, le paysage, ne se laissent pas découvrir à plus de dix pas. Sans même parler du contact, doux et rugueux, de l’écorce des arbres…
Ça ne vous avait pas immédiatement sauté aux yeux – pas plus qu’aux oreilles ou aux narines. Là où, autrefois, la vie bruissait de mille insectes, mille essences végétales, dans une généreuse anarchie auto-régulée, on peut aujourd’hui se balader au milieu des arbres sans entendre le moindre chant d’oiseau, sans que l’odeur d’humus vienne nous chatouiller la narine – et traverser, à perte de vue, des alignements de pins, bien espacés, bien rangés, bien propres, bien tous de la même espèce. C’est là, tout d’abord, que le film de François-Xavier Drouet nous emmène. Dans ces drôles de forêts qui n’en sont plus vraiment – plutôt des plantations. D’ailleurs on ne parle plus de gestion de la forêt, mais d’exploitation.

Vous l’avez compris : comme dans tous les domaines dans lesquels l’Homme fourre son nez, la sylviculture n’échappe pas aux sacro-saintes exigences d’efficacité et de rentabilité. L’offre s’aligne sur la demande, en qualité et en quantité. Le marché demande du pin, c’est la mode, ça pousse vite, c’est facile à travailler. Aussi sec (on parle quand même encore en décennies), les forêts, landes et campagnes françaises se transforment en pinèdes. Toutes sur le même modèle productiviste, toutes plantées de la même essence : pour l’heure, le Douglas, extraordinaire modèle de pin nord-américain, du genre robuste (résistant aux pesticides) et à la croissance ultra-rapide (beaucoup plus rapide en tous cas que ses lointains cousins européens). Adieu, la diversité, adieu l’écosystème, sacrifiés sur l’autel du Profit.
Comme dans tous les types d’exploitations agricoles, le modèle productiviste s’est imposé à la sylviculture. Monoculture, évidemment, et mécanisation radicale, violente, de la filière, qui transforme les acteurs en prestataires et coupe le lien qui reliait les hommes aux arbres. Il faut aujourd’hui, montre en main, moins de cinq minutes pour abattre, écorcer et débiter un Douglas. Évidemment, la machine capable d’un tel prodige a un coût tel que son propriétaire est condamné, pour finir de la payer, à abattre les arbres à la chaîne. Pendant ce temps, Patrick, bûcheron, armé de sa tronçonneuse à 1500 euros, s’éclate autant qu’il transpire. Entre deux arbres abattus, il nous parle de sa liberté, de la satisfaction de ne rien devoir à sa banque, du plaisir de passer ses journées dans une forêt. Une forêt, avec ses broussailles, ses champignons, sa faune… Ne faisant guère le poids face au rouleau-compresseur, Patrick serait le représentant d’une espèce en voie d’extinction ?

D’une exploitation l’autre, Le Temps des forêts, dresse un constat saisissant, sans concession, de l’état de nos forêts. Le film raconte, de l’abattage à la scierie, la légitime inquiétude d’une filière peu à peu déshumanisée, ainsi que la tout aussi légitime colère des gardes forestiers transformés par leur administration de tutelle en comptables esseulés d’une matière première à faire fructifier. Tout cela serait d’une tristesse infinie, mais heureusement, à l’instar du bûcheron Patrick, François-Xavier Drouet oppose au système mortifère une kyrielle d’expériences alternatives, d’actions concrètes qui n’ont d’autre but que d’en contrecarrer les effets. Face à la logique néolibérale et sa responsabilité dans la destruction des écosystèmes, elles parient sur le temps long, préservent ce qui peut l’être et, indéfectiblement du côté des arbres, de l’humus, des biches et des oiseaux, préparent, joyeusement, l’avenir. (avec la participation involontaire mais précieuse de Manouk Borzakian, géographe, rédacteur pour Libération du blog Géographie et cinéma).