Plan 75

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[Cinéma] – VOST (JP) – De Chie Hayakawa

Avec Chieko Baishô, Yumi Kawai, Hayato Isomura
1h 52min / Drame, Science fiction

+ Y’a bon ? – 2021/FR/4mn (court métrage précédant le film)

Synopsis et critique : Utopia

Au début du magnifique La Ballade de Nayarama de Shohei Imamura, qui se déroule dans le Japon rural du xixe siècle, une vieille dame se brise volontairement les dents sur la margelle d’un puits. Bien que septuagénaire, elle est en parfaite santé et son fils se refuse à ce qu’elle se résigne à l’« ubasute », cette pratique qui veut que les personnes âgées, une fois qu’elles ont « fait leur temps », se retirent dans la montagne pour s’y laisser mourir. Par son geste, la mère veut que sa famille accepte enfin l’inéluctable…
Un bon siècle plus tard, la situation des personnes âgées au Japon a bien changé. Les liens familiaux, dans un monde ultralibéral où prime l’efficacité économique, se sont distendus au point que les anciens sont souvent ignorés et délaissés par leurs proches. Leur précarité les pousse souvent à accepter des boulots qui peuvent être pénibles et ils doivent affronter la solitude et la pression sociale qui leur renvoie implicitement au visage leur inutilité dans une société qui fait partie des plus vieillissantes au monde, et où commence à peser le poids financier du grand âge. La jeune réalisatrice Chie Hayakawa s’est inspirée de cette situation pour penser un film d’anticipation puissant parce qu’extrêmement réaliste et habité par plusieurs personnages remarquablement écrits et interprétés. Elle réalisa d’abord un court métrage produit par le grand Kore Eda, avant de se lancer dans ce long métrage très bien accueilli lors du récent Festival de Cannes.

Dans un futur proche, le Plan 75 du titre désigne une campagne menée par le gouvernement du Japon qui offre à des retraités de plus de 75 ans plus ou moins désargentés, voire carrément dans la misère, la possibilité de recevoir un petit pactole en échange d’un « doux » accompagnement vers l’euthanasie. On va donc suivre d’un côté Michi, une vieille femme qui ne parvient plus à surmonter ses difficultés de logement, ainsi que Yukio, un vieil homme à l’esprit qui vacille – ils ont tous deux accepté de rentrer dans le dispositif – et de l’autre côté, en parallèle, Hiromu et Yoko, deux jeunes employés du Plan 75, chargés d’accompagner les candidats et surtout d’éviter qu’ils ne renoncent en cours de route, mais aussi Maria, une aide de vie philippine.

La force du film est de décrire avec une précision saisissante les impitoyables mécanismes mis en œuvre – avec une fausse douceur particulièrement glaçante – pour convaincre les retraités de signer le contrat mortifère, avec entre autres ces soupes populaires organisées par le Plan 75 pour recruter des SDF âgés, doublement inutiles aux yeux de la société productiviste. Mais le film montre face à cela l’humanité de chacun qui peut se réveiller : c’est le cas des liens qui se tissent entre les femmes âgées dans les superbes scènes d’atelier de chant, de l’attachement que vont ressentir les jeunes supplétifs de l’euthanasie industrialisée (qui rappelle forcément le génial Soleil vert de Richard Fleischer) envers les candidats qu’ils accompagnent, ou encore de la générosité dont font preuve les membres d’une communauté catholique envers la jeune aidante philippine. Autant de comportements et d’engagements qui tranchent avec la solitude et l’individualisme de la société japonaise moderne.
Chie Hayakawa signe ainsi un premier film fort, à la fois fable politique et chronique humaniste bouleversante, servie notamment par la grande actrice japonaise Chieko Baisho.

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