Le sixième enfant

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[Cinéma] – De Léopold Legrand

Avec Sara Giraudeau, Benjamin Lavernhe, Judith Chemla
1h 32min / Drame

Synopsis et critique : Utopia

Pour Franck, ça démarrait comme une journée banale : un copain à aider, quelques trucs encombrants à transporter. Dès qu’on a un fourgon un peu grand, c’est fou le nombre d’amis que l’on se fait et qui ont toujours besoin d’un « petit » coup de main. Et on a beau faire, dans le monde de la débrouille qui manque cruellement de flouze, on a tôt fait de se retrouver piégé dans des combines un brin foireuses… C’est ainsi que cette journée banale va tourner au vinaigre plus vite qu’une mauvaise piquette. Franck, avec son bon cœur, atterrit à l’hosto, puis au commissariat de police, tandis que son utilitaire part à la casse. Même s’il n’a pas fait grand chose de répréhensible, il risque plus gros qu’un citoyen lambda : quand on vit en caravane, qu’on soit yéniche, rom, gitan, tzigane, gars du voyage…, qu’importe comment on vous désigne, on est toujours plus suspect qu’un col blanc, même si on ne risque pas d’arnaquer la société autant que ceux qui en connaissent mieux les rouages.
Alors Meriem, la femme de Franck, met la dose en lui envoyant ce qu’elle pense être un bon avocat. Qu’importe s’ils ne savent pas comment le payer… Et son intuition portera ses fruits : Julien défend tellement bien la cause de Franck qu’il lui évite la case prison. Mieux encore, les deux hommes vont sympathiser, malgré la frontière de verre invisible qui sépare irrémédiablement leurs univers, leurs classes sociales. Et c’est avec une gratitude non feinte que le couple Franck/Meriem accueille dans son humble camping-car le couple Julien/Anna, avec les moyens du bord, une flopée de mioches pendus à leur basque. Combien sont-ils, les mômes ? Cinq ? Dans si peu de place, mais un grand campement autour pour jouer, et des multitudes d’yeux curieux qui observent ces bourgeois venus se perdre au pays des romanichels l’instant d’une bière. On voit vite combien Anna n’est pas insensible à cette humanité-là et surtout à sa ribambelle de marmots qui ont l’air de s’enticher d’elle. Il faut dire qu’elle est si gracile et si douce (Sara Giraudeau, forcément !), si attentive.
Et puis vient l’heure de se séparer, celle de repartir pour Julien et sa femme vers leur appartement huppé, trop grand, avec cette chambre qui attend désespérément un bébé qui ne vient pas malgré les traitements à répétition, les FIV toujours renouvelées sans succès et qui creusent une cruelle et irrémédiable déchirure dans le cœur d’Anna…

Finement, Meriem va deviner la chose et entre les deux femmes s’installe un lien complexe, tout à la fois sincère et intéressé, amical et marchand. Car chacune se montre désireuse de rectifier les erreurs du destin : Anna veut un enfant, Meriem en attend un, le sixième, qu’elle ne désirait pas, parce qu’elle ne sait pas comment elle va bien pouvoir faire pour l’élever dans les conditions de vie qui sont les siennes…
Et cette partition à quatre mains, plus subie que clairement choisie par leurs hommes, va soulever des enjeux dangereux, qui les mettront tous sur le fil du rasoir. D’autant que nul n’est censé ignorer la loi, surtout pas les avocats que sont Julien et son épouse… Mais il y a chez Anna un tel désir d’enfant qu’à compter de cette rencontre-là, de cette occasion-là, même si le projet est complètement déraisonnable, rien ne l’arrêtera et elle se révèlera capable de braver tous les interdits. On sera pris dans les filets de ce malaise grandissant, de ces urgences qui laminent les âmes…
À partir de ce qu’il est convenu d’appeler un sujet de société, un excellent premier film, qui allie avec une belle maîtrise étude psychologique subtile et tension constante du récit.

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