Chronique d’une liaison passagère

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[Cinéma] – De Emmanuel Mouret

Avec Sandrine Kiberlain, Vincent Macaigne, Georgia Scalliet
1h 40min / Comédie dramatique, Romance, Drame, Comédie

+ Match – 2018/FR/6mn (court métrage précédant le film)

Synopsis et critique : Le monde

« Bis repetita placent ». On pourrait même dire que plus elles sont reprises et affinées, plus les choses répétées plaisent. De film en film, comme ferait un musicien avec son instrument, Emmanuel Mouret poursuit son étude littéraire, cinématographique, musicale du sentiment amoureux. Monte et descend ses gammes, teste les frontières du désir et de la passion, s’ingénie à reprendre et réécrire ad libitum les motifs du marivaudage, qu’il explore, en parfait moraliste humaniste, avec tout le sérieux et toute la légèreté qui s’impose. Incontestablement, il avait atteint avec Mademoiselle de Jonquières une virtuosité d’écriture et de mise en scène qui avait emballé tout à la fois le public, les professionnels et la critique – virtuosité confirmée dans une magnifique déclinaison chorale, Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait. Si pour son (déjà !) onzième film, Emmanuel Mouret remet donc sur le métier son ouvrage, il en épure, simplement, précisément, le motif : un homme, une femme, soit le strict minimum pour raconter une histoire d’amour. On ne le souligne pas assez, l’écriture ciselée d’Emmanuel Mouret est drôle, très drôle. Alors que ses premières amours cinéphiles lui faisaient lorgner vers la comédie américaine classique (Lubitsch, Wilder…), il convoque pour sa Chronique la manière du Woody Allen le mieux inspiré – celui des années 80 : mise en scène élégante et tonalité joyeusement mélancolique, il cite volontiers Bergman et truffe de blagues plus ou moins subtiles de formidables tunnels de dialogues dans lesquels Sandrine Kiberlain (impériale) et Vincent Macaigne (à son meilleur) prennent un plaisir communicatif à s’ébattre et se répondre du tac au tac. Tombé sous le charme du film (et comme on le comprend), Mathieu Macheret a trouvé des mots parfaitement justes pour le chroniquer aux lecteurs du Monde :

« Simon et Charlotte se rencontrent lors d’une soirée, se plaisent, boivent un dernier verre, rentrent ensemble (chez elle). Tout se passe si bien qu’arrive, inévitable, la question de se revoir. Lui, un homme marié, manquant quelque peu de confiance en soi, s’estime heureux qu’une telle liaison advienne, mais se range à son caractère provisoire, sans oser quitter son foyer. Elle, mère célibataire et pragmatique, le devance, se déclarant favorable à une aventure sans la moindre attache. Fatuité des modernes, rit sous cape Mouret en observant depuis sa position de classique ses personnages s’enfoncer, scène après scène, escapade après-rendez-vous, dans le déni d’une relation beaucoup plus durable qu’ils ne veulent bien l’admettre.
« Chronique d’une liaison passagère ne retient de ses personnages que leurs rendez-vous dérobés, rejetant à ses marges tout ce qui n’appartient pas directement à leur relation. Le cinéaste s’amuse à inverser les rôles traditionnels au sein du couple : l’homme, pudique et réservé, versant volontiers dans l’autodépréciation, cède l’initiative à une femme beaucoup plus hardie que lui. Mais le complexe ici décrit est encore plus amusant. Parce qu’ils s’acharnent à ne pas se gêner, à ne pas se faire de scène, à devancer le désir de l’autre, quitte à le prendre de vitesse, Charlotte et Simon inventent une relation si fluide, et pour tout dire si parfaite, qu’elle leur coule entre les doigts.
Pourquoi Charlotte et Simon s’expriment-ils à rebours de ce qu’ils semblent chacun désirer profondément ? Pourquoi s’entretiennent-ils dans une fiction de pratique et de rationalité, alors qu’ils s’aiment de toute évidence, et que cet amour les oblige ? Tout le film est délicieusement tissé d’écarts de langage, de trébuchements dans la parole, d’ironie ciselée, comme autant de brèches laissant deviner toute la part inconsciente qui travaille les personnages. Orfèvre de la maladresse sentimentale, soucieux d’expurger la romance de sa part la plus dramatique, Mouret confie à ses deux comédiens une partition funambule : celle d’incarner ce charmant travers de l’être amoureux qui consiste, sous le regard de l’autre, à se mentir à soi-même ».

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