Pour la France

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[Cinéma] – De Rachid Hami

Avec Karim Leklou, Shaïn Boumedine, Lubna Azabal
1h 53min / Drame

+ Una furtiva Lagrima – 2011/US/3mn (court métrage précédant le film)

Synopsis et critique : Cineuropa

À l’automne 2012, les élèves de l’école spéciale militaire de Saint-Cyr, en charge de la « transmission de tradition » destinée à accueillir les nouvelles recrues – plus trivialement désignée sous les termes de « bizutage » ou « bahutage » –, ont eu la brillante idée de reconstituer le débarquement de Provence du 15 août 1944. Un peu avant minuit, le 29 octobre 2012, les nouveaux, sous le feu de puissants projecteurs, ont été poussés à entrer dans un étang surnommé « Bazar Beach », équipés de leurs treillis, rangers et casque lourd, sous des tirs de cartouches à blanc accompagnés des Walkyries de Wagner diffusées à plein volume. Apocalypse now version carton-pâte.
On pourrait rire de cette ambition de faire cinoche si la réalité n’avait pas tourné au drame. Plongés dans une eau à 9 degrés qui saisit même les meilleurs nageurs, les jeunes soldats découvrent très vite qu’ils n’ont pas pied. Panique générale, sauve-qui-peut. Beaucoup n’échappent à la noyade que d’un cheveu. Dans la confusion, on met du temps à s’apercevoir qu’un soldat manque à l’appel : Jallal Hami, OST (Officier Sur Titre) de 24 ans. Le frère du réalisateur.

C’est à partir de cette tragédie intime que Rachid Hami a bâti une fiction dont l’une des grandes qualités est de ne pas aller exactement où l’on aurait pu l’attendre (nous contre eux, les civils contre les uniformes, les Musulmans des quartiers confrontés aux Français de souche et de bonne famille…) mais qui, tout en abordant par petites touches nuancées beaucoup de sujets très actuels de la société française, retrace surtout la quête de rédemption d’Ismaël, le frère ainé du mort. Le tout dans un style tournant le dos au cinéma d’auteur social-réaliste habituel pour une facture d’ambition classique (dans le bon sens du terme) voyageant de l’Algérie du passé à Taïwan (où Aïssa – l’alter ego du Jallal de la réalité – avait effectué un stage).
Pour Ismaël (le très bon Karim Leklou) et sa mère Nadia (Lubna Azabal, excellente elle aussi), c’est une question de principe : Aïssa (le rayonnant Shaïn Boumedine), qui « était fier d’être à Saint-Cyr », doit avoir les honneurs d’un enterrement militaire qu’on leur a d’abord promis avant de tergiverser (le jeune homme n’est pas mort en opération extérieure). Des discussions qui rythment toute l’intrigue, de rendez-vous en rendez-vous, laissant émerger des différences sous l’uniformité de l’uniforme, le sens de l’honneur des uns (le général Caillard incarné par Laurent Lafitte) se heurtant au strict respect du règlement des autres. Pendant ce temps, Ismaël, le fils « décevant », qui a emprunté par le passé des voies peu recommandables, se souvient. Reviennent à la surface l’enfance et leur fuite d’Algérie en 1992 malgré l’opposition totale de leur père Adil (Samir Guesmi), qui ressurgit au funérarium, mais aussi son voyage deux ans auparavant à Taïwan pour rendre visite à Aïssa, un face-à-face crucial entre les deux frères.

Le réalisateur restitue, à une hauteur très humaine (certaines scènes ont inévitablement poignantes) toute la complexité de ce qu’est la place de chacun et la reconnaissance des autres dans un microcosme familial et dans le macrocosme France. Nourrissant la ligne claire de son récit (un scénario qu’il a écrit avec Ollivier Pourriol) de multiples petits détails suggestifs, emballant l’ensemble dans l’excellente musique de Dan Levy, et donnant à chacun de ses trois espaces spatio-temporels (le présent, l’Algérie, Taïwan) toute l’attention nécessaire pour acquérir une vraie identité visuelle et atmosphérique, Rachid Hami signe une œuvre à la fois ample et sensible.

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