Leila et ses frères

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[Cinéma] – VOST (IR) – De Saeed Roustaee

Avec Taraneh Alidoosti, Navid Mohammadzadeh, Payman Maadi
2h 39min / Drame

Synopsis et critique : Utopia

Voici Leila, la grande oubliée du palmarès cannois, comme le sont les femmes dans certaines sociétés patriarcales. Cette fable grinçante sur la vanité des hommes aurait mérité de figurer non loin de la Palme d’Or ! Le réalisateur de l’époustouflant thriller La loi de Téhéran met ici toute la force de frappe de sa mise en scène dans une fresque familiale tout autant que sociale où les destinées individuelles se trouvent inextricablement liées aux destinées collectives. Le portrait sans concession de toute une société, de toute une époque se reflète dans le regard de Leila.

Une usine qui ferme, le patron corrompu qui part en cavale avec la caisse, des ouvriers qui hésitent entre espoir, peur et colère. Un débrayage forcé, la violence qui monte, tension intenable, captivante. Alireza, l’un des frères de Leila, hésite au milieu de tout ça, sans savoir quel camp choisir : la résignation ou la révolte… Désormais il ne pourra plus payer son loyer, il doit renoncer à l’espoir d’une vie digne…
En parallèle, son père Ismael, à son grand dam, recueille un à un ses grands enfants, échoués d’un système qui se durcit, renforce les inégalités sociales. Le retraité tantôt geint ou pétarade dans son minuscule appartement qui fait office d’arche de Noé sans en avoir la capacité d’accueil. Pourquoi avoir fait tant de gosses ? La mère, elle, se tait. Qui lui demande son avis ? Qui le lui a jamais demandé ?
On n’imagine plus guère le goût âcre de la promiscuité, de cette solidarité de tribu subie quand on n’a d’autre choix pour survivre, quand le travail ne paie plus. Progressivement le ton se fait plus rude, moins bienveillant. On oublie le respect dû aux aînés, l’amour qu’on s’est porté, qu’on se porte sans doute encore un peu quand on oublie de se maudire. Il ne reste à chacun que l’illusion de faux espoirs. Pour l’un c’est un salaire, pour l’autre la réussite dans des combines pas très musulmanes, pour le troisième la fuite vers un eldorado étranger… pour le patriarche c’est d’obtenir enfin la reconnaissance de ses pairs, de sa communauté. Chacun s’accroche à ce qu’il peut, prêt à ramer en solitaire sans se demander s’il ne le fait pas dans le sens opposé de ceux auxquels son sort est lié, risquant ainsi d’encalminer la galère familiale.
Seule Leila, la seule fille de la famille, tente de prendre de la hauteur. Puisqu’elle est celle qui s’en sort le mieux, puisque chaque jour, dans le temple de la consommation où elle bosse, elle voit des bourgeois dilapider des fortunes en gadgets futiles et inutiles, pourquoi ses quatre frères et elle ne s’allieraient-ils pas pour ouvrir une jolie boutique et, qui sait, ambitionner de vivre de façon plus décente ? Dans le fond, Leila c’est la voix de la raison qui n’a d’autre tort que celui d’être née femme. Mais malgré tout, à force d’arguments, de pugnacité, voilà que progressivement sa proposition l’emporte, même auprès de son frère le plus radin. C’est compter sans l’égoïsme d’Ismaël, tout aussi bourreau que victime des autres, sans la pression séculaire des conventions qui l’emportent sur la raison.

Tout va basculer dans un dilemme tragicomique quand le titre honorifique auquel le vieil homme aspirait va lui sembler à portée de main : « Parrain ». Et l’on trouvera étrange qu’être couché sur un testament pour endosser cette charge puisse coûter tant d’argent. Dieu nous préserve d’un tel héritage ! Mais en Iran, il en est ainsi, aussi vrai que les femmes se voilent. Il ne reste plus qu’à espérer que le bon sens triomphe et guide Ismaël dans le choix cornélien qui s’offre à lui : assurer l’avenir de sa famille ou jouir d’une gloire illusoire…

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