La syndicaliste

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[Cinéma] – De Jean-Paul Salomé

Avec Isabelle Huppert, Grégory Gadebois, François-Xavier Demaison
2h 01min / Thriller, Drame

Synopsis et critique : Utopia

Le 17 décembre 2012, dans un cossu pavillon de banlieue, une femme est retrouvée ligotée sur une chaise, en état de sidération. La lettre A a été tracée sur son ventre à l’aide d’une lame tranchante.
Cet incipit pourrait être celui d’un roman policier d’Arnaldur Indridason, un inspecteur un peu alcoolique et forcément dépressif aurait mené l’enquête dans les faubourgs de Reykjavik, et il aurait été embarqué dans les coulisses sordides d’un quelconque trafic mêlant mafia locale et pontes en costards cravates. Ça aurait pu… mais la réalité dépasse souvent la fiction, et rien de scandinave – n’en déplaise à la blondeur inhabituelle d’Isabelle Huppert – dans ce thriller politique adapté d’une histoire vraie.

La femme en question, bien que d’origine irlandaise, est au service d’un grand groupe industriel tout ce qu’il y a de français, Areva, fleuron du nucléaire civil, et elle s’appelle Maureen Kearney. C’est la déléguée syndicale de la CFDT. Un poste d’équilibriste nécessitant une bonne dose de sang froid, une volonté de fer et l’art de savoir naviguer avec aisance dans tous les milieux influents, des couloirs feutrés de Bercy à la buvette de l’Assemblée Nationale en passant par le bureau d’Anne Lauvergeon, alors à la tête de l’entreprise. Quelques mois avant cette sinistre mise en scène, Maureen a eu vent d’un contrat secret passé entre la France et la Chine, concernant la conception d’un nouveau réacteur nucléaire. Elle est persuadée qu’en arrière-plan de ces négociations se joue l’avenir d’Areva – et celui de milliers de ses salariés –, de plus en plus éclipsée par sa rivale EDF, l’autre pilier du nucléaire tricolore.
Tête de lard et de pioche à la fois, n’écoutant personne et surtout pas son cher époux qui aimerait bien qu’elle lève le pied, Maureen s’était alors mise en tête d’alerter les politiques et les médias… Se pourrait-il qu’il y ait un lien entre son activisme et son agression ?
À moins que Maureen n’ait elle-même tout manigancé pour arriver à ses fins : révéler au grand jour cette affaire… De « mauvaise victime », elle pourrait bien passer au statut de suspecte numéro un.

Sous tension permanente, incarné par une brochette de comédiens tous excellents (mention spéciale à Grégory Gadebois en époux oscillant entre résignation et indécision et à l’excellent Christophe Paou, vu chez Alain Giraudie et dernièrement dans Oranges sanguines de Jean-Christophe Meurisse, incarnant un Arnaud Montebourg plus vrai que nature), ce polar politique décortique les jeux et intimidations du pouvoir. On y constatera le peu de considération pour l’humain, largement dissout non pas dans l’acide mais dans les vastes enjeux stratégiques, financiers et politiques, et les diverses manipulations qui ont mené au démantèlement d’Areva. C’est aussi bien sûr une charge virulente contre la misogynie crasse de ces hautes sphères du pouvoir, où il faut à une femme un caractère bien trempé et une résistance à toute épreuve pour se faire une place parmi tous ces mâles alpha.
Mettant en lumière un dossier curieusement moins connu que les affaires Clearsteam ou Médiator, cette fiction indispensable fait donc encore plus froid dans le dos qu’un polar islandais. Pour la petite histoire, la vraie Maureen Kearney a été étroitement liée à l’écriture du scénario, tout en laissant à Jean-Paul Salomé la liberté de la fiction. On citera au passage l’excellente mini-série documentaire réalisée par Nina Robert, L’Affaire Maureen Kearny (France Télévision), et sa formidable contre-enquête.
« J’étais ligotée sur une chaise. Il y a eu le revolver, puis le couteau sur mon ventre. Si j’avais su, je ne serai jamais devenue la syndicaliste d’Areva. ». Maureen Kearney

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