Avec amour et acharnement

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[Cinéma] – De Claire Denis

Avec Juliette Binoche, Vincent Lindon, Grégoire Colin
1h 56min / Drame, Romance

+ Metacinéma appliqué – 2014/FR/4mn (court métrage précédant le film)

Synopsis et critique : Le polyester

Jean et Sara vivent ensemble depuis dix ans. Quand ils se sont rencontrés, Sara partageait la vie de François, le meilleur ami de Jean et son grand admirateur à l’époque où Jean jouait au rugby en professionnel. Jean et Sara s’aiment. Un jour, Sara aperçoit François dans la rue. Il ne la remarque pas, mais elle est submergée par la sensation que sa vie pourrait soudainement changer. Pour la première fois depuis des années, François reprend contact avec Jean et lui propose de retravailler ensemble. Se déclenche alors une spirale incontrôlable…
D’abord des images idylliques : Sara et Jean sont en vacances quelque part dans un lieu qui n’a l’air d’appartenir qu’à eux, ils s’aiment et avancent ensemble dans l’eau, la mer est calme mais on discerne pourtant des orages lointains. En un cut abrupt et un contraste violent, nous voilà avalés dans un tunnel de métro, de la plage de carte postale à la ligne 1, Défense – Château de Vincennes. La musique dramatique et hantée de Tindersticks semble nous prévenir : si l’amour à l’image est véritable, celui-ci est déjà comme damné.

Avec amour et acharnement est le nouveau film de Claire Denis, et il porte sa marque très distinctive. D’abord parce que, comme la plupart du temps dans sa filmographie, il est difficile de réduire le long métrage à un sujet sans rendre trivial le vertige dans lequel la cinéaste nous fait plonger. C’est une histoire d’amour, des histoires d’amour, dont le curseur du romanesque est poussé jusqu’au paroxysme – la passion comme la jalousie rendent fou. Et c’est traité à la façon d’un film d’angoisse, qu’il s’agisse de la bande sonore ténébreuse ou des gros plans anxiogènes – Juliette Binoche à travers une porte est une image qui paraît citer… Shining de Kubrick.
C’est une histoire de couple dans un appartement parisien, ce pourrait être vu mille fois mais Claire Denis envoie assez violemment valser les conventions du cinéma bourgeois – il y a en effet une aspérité vénéneuse omniprésente dans le film. Comme souvent chez la réalisatrice, il y a une manière de ne jamais caresser dans le sens du poil, un refus de plaire, de se compromettre, d’obéir à un format ; c’est précisément ce qui rend son cinéma vibrant, unique et émouvant.
Mais ce n’est pas une émotion facile qui parcourt Avec amour et acharnement, avec ses sentiments violents, sa caméra électrique. Le film est très dialogué, servi à la perfection par l’ensemble des comédiens. Mais il laisse paradoxalement toute une place au non-dit, au mal dit, aux pointillés et aux mensonges. Denis et sa co-scénariste Christine Angot délivrent une passionnante étude de couples et de caractères qui ne ménage jamais ses protagonistes. Ils sont attachants, ils peuvent être beaux, ils sont aussi médiocres et décevants. « On est enfermé dans nos identités », vocifère Jean, ne se rendant même pas compte qu’il est une caricature de papa universaliste « qui ne voit pas les couleurs ». Sara, au micro de la radio où elle travaille, est à l’écoute du monde, comme une vigie, mais se retrouve totalement centrée sur elle-même lorsque ses sentiments débordent.
Il y a pourtant bien un monde autour, que Claire Denis suggère. Là aussi, difficile de réduire le film, qui peut parler du monde ou de la France sans que ça ne soit jamais le propos. C’est un film dont les protagonistes sont tournés sur eux-mêmes mais qui dépeint une humanité comme on ne la voit jamais ailleurs. Et on sort KO de ce nouveau long métrage magnifiquement réalisé par une cinéaste qui décidément ne ressemble qu’à elle.

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