16 ans

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[Cinéma] – De Philippe Lioret

Avec Sabrina Levoye, Teïlo Azaïs, Jean-Pierre Lorit
1h 34min / Drame, Romance

+ The soloists – 2021/AN/8mn (court métrage précédant le film)

Synopsis et critique : Utopia

Dans la France périphérique de 2022, Juliette a 16 ans, elle s’appelle Nora et vit dans une cité pas totalement ravagée par la misère, mais pas bien riante pour autant. Elle a une grande soif d’apprendre et, à partir du lycée, de s’extirper de son milieu, d’une vie de famille pas bien méchante mais un peu étouffante, où la parole d’un père, d’un frère ont plus de poids que ses propres aspirations. Au lycée, donc, l’aborde un surprenant Roméo, un camarade de classe inattendu tant il n’est, justement, pas de sa classe – sociale, s’entend. Fils unique d’un directeur de supermarché aux portes d’être embringué dans la politique locale, enfant choyé qui s’épanouit entre deux parents peu présents mais aimants dans une magnifique villa avec piscine du quartier résidentiel de la même banlieue, Léo a fait le choix, au désespoir de ses géniteurs, du lycée public et de la mixité sociale contre l’établissement privé pour rejetons cossus qui lui était promis. Léo, redoublant plein d’assurance, en opposition mais pas en guerre avec sa famille, fait le siège des sentiments de Nora, qui, aussi réservée qu’elle veuille paraître, n’est pas insensible aux charmes du garçon.

Une affaire qui roule, donc. Mais voilà : il y a Tarek, le grand frère de Nora. Tête brûlée, Tarek a connu la petite délinquance et ses conséquence – et aspire à se ranger dans la société. Il est pour l’heure manutentionnaire dans le supermarché dirigé par le père de Léo, et si le boulot est dur, la place est bonne, l’avenir se fait pour lui plus souriant. Jusqu’au jour où une bouteille de Château-Margaux hors de prix disparaît du rayonnage où elle trônait – une de ces bouteilles que la clientèle habituelle ne peut évidemment pas se payer et que les enseignes n’exposent que pour mettre en lumière le tout-venant du vin qu’elles écoulent. En raison de son passé, de son origine, de mille prétextes, Tarek est soupçonné, accusé, et manu-militari viré de son boulot. Pour Nora, la sœur de Tarek, et Léo, le fils du gérant, rien dans cette situation ne devrait se mettre en travers de leurs sentiments. Mais pour la famille, et pour leurs entourages, ce n’est pas la même chanson.

Extrêmement simple et sensible, la relecture par Philippe Lioret de Roméo et Juliette est une très belle évocation de l’adolescence, d’hier et d’aujourd’hui. Et si les Capulet et les Montaigu, familles rivales mais pareillement nobles, ne règlent plus leurs différents au fil de l’épée dans les rues de Vérone, les rapports de classes que convoque le réalisateur pour s’interposer entre ses jeunes amants maudits sont tout aussi violents et inextricables. Les portraits de Nora et de Léo sont extrêmement attentifs et justes, chacun dans sa famille, chacun prisonnier des préjugés socioculturels inhérents à son extraction, à son environnement, contre lesquels l’une et l’autre s’efforcent de s’arc-bouter. Philippe Lioret évite la caricature dans les descriptions qu’il en fait : que ce soit du côté des grands bourgeois volontiers donneurs de leçons ou de la vie dans les grands ensembles des quartiers populaires, qu’il s’agisse du père ou du frère de la jeune fille, des parents du garçon, rien n’est simple, rien n’est manichéen. Et si des réalités, des conditions de vie, sont évoquées sans angélisme, le propos même de cette relecture de la tragédie shakespearienne est de s’opposer au déterminisme social. On ne saurait trop en recommander la projections aux familles et aux classes de lycées. Les jeunes comédiens, Sabrina Levoye et Teïlo Azaïs, absolument épatants, apportent à Nora et Léo leur juvénilité lumineuse, une justesse de ton qui n’est pas pour rien dans la réussite du film et de cette très belle démonstration de l’intemporalité de Roméo et Juliette.

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