Retour sur une projection

Article DNA – Wingen-sur-Moder – Ciné-débat Marie Gerhardy (29/01/2017)

Entre le loup et l’homme

La projection du film « La Vallée des loups », jeudi soir à Wingen-sur-Moder, a attiré un public si nombreux qu’une quarantaine de personnes ont dû être refusées. L’occasion de débattre avec le réalisateur Jean-Michel Bertrand de la place du sauvage.

Le réalisateur Jean-Michel Bertrand a répondu aux questions de la foule qui s’était déplacée. PHOTO DNA – Marie GERHARDY

Trois ans. Jean-Michel Bertrand a passé trois ans à arpenter en solitaire une vallée des Alpes. Instinctivement, il était persuadé que des loups avaient élu domicile quelque part dans la forêt, et il comptait bien les rencontrer. Secoué par des moments de lassitude et de désespoir, il n’a pourtant jamais lâché son rêve. Il en a sorti un film.

Est-ce la beauté des images ? L’excitation que procure une vraie plongée dans la nature sauvage, en reconnexion avec notre instinct animal ? Ou tout simplement la personnalité entière de Jean-Michel Bertrand ? Toujours est-il que le film rencontre un grand succès depuis sa sortie le 4 janvier, et que le réalisateur n’a plus une minute à lui.

Le parc naturel régional des Vosges du Nord ne pouvait pas l’ignorer. Il mène depuis quelques années une large médiation autour de la réintroduction d’un autre animal sauvage, le lynx. Alors l’avis du réalisateur sur les difficultés de cohabitation entre l’homme et l’animal a vivement intéressé le parc, qui l’a invité dans le cadre des ciné-débats « Découverte du monde ».

« Les prédateurs font peur aux esprits peu curieux »

Quand les lumières se rallument et que Jean-Michel Bertrand entre dans la salle, il est accueilli par une salve nourrie d’applaudissements, puis immédiatement interpellé au sujet des bizarreries du tournage. En effet, plusieurs plans de l’homme en action n’ont pu qu’être tournés par une tierce personne, voire mis en scène.

Le réalisateur a révélé la présence de Marie Amigué, une amie passionnée de cinéma, qui l’a rejoint au bout d’un an et demi dans la vallée. Certains événements, survenus alors que les caméras étaient éteintes, ont été scénarisés et tournés après coup. Une équipe avec des drones pour les plans en hauteur, un photographe et un ingénieur du son étaient également de la partie.

Cette convention de tournage aurait peut-être dû être précisée dès le début, pour que le spectateur puisse se débarrasser du sempiternel « comment c’est fait ? » De plus, le postulat de base est de suivre cette enquête solitaire, qui tourne parfois à la mission de survie dans une nature sauvage. Alors deviner une présence qui n’est jamais explicite laisse le sentiment d’être dupé.

Jean-Michel Bertrand assure qu’il n’y a rien d’héroïque dans ce tournage. « Il suffit d’être équipé ! » Pourtant, il y a bien quelque chose de surhumain dans cette foi inébranlable en un rêve, basée sur une simple intuition. « Je supposais que le loup était là. Cela n’a pas été facile de trouver un producteur qui me suive sur ce projet. Je ne savais même pas si je verrai un jour l’animal. »

Rapidement, l’échange s’est orienté vers la cohabitation entre l’homme et l’animal. L’opinion de Jean-Michel Bertrand, qui démarre son film par les mots « Les prédateurs font peur aux esprits peu curieux », n’est pas une surprise. Pourtant, la problématique est à peine effleurée dans le film, car cette vallée est déserte d’hommes. Seule une scène laisse entendre un coup de feu retentir au loin.

Une politique clientéliste, sans réflexion de fond

« Ailleurs dans les Hautes-Alpes, l’arrivée du loup il y a 25 ans a posé des soucis. Les écolos d’un côté et les agriculteurs de l’autre s’en donnent à cœur joie, la presse en fait ses choux gras. Les élus mènent une politique clientéliste, sans réflexion de fond. Ils vont soudain décider de faire abattre 36 loups, pour calmer la grogne. Mais s’ils tuent le mâle alpha, ils vont favoriser la dispersion et l’attaque opportuniste de troupeaux ! »

Jean-Michel Bertrand ne comprend pas ce blocage en France. « En Italie, juste à côté, le loup n’a jamais disparu, et les habitants font avec. Ils ont une vraie culture de la protection des troupeaux. Cela n’a aucun sens d’être pour ou contre le loup, c’est comme être pour ou contre l’orage. L’orage aussi tue du gibier. Mais quand c’est le loup, objet de tous les fantasmes, c’est l’émoi. La vraie question est de savoir si on veut du sauvage, des grands prédateurs, ou une nature domptée. »

Le réalisateur s’émerveille devant le pouvoir de colonisation des loups. « Il est arrivé d’Italie dans les Alpes. Celui qui a occupé les Vosges a aussi de l’ADN italien. Les individus à qui on a pu mettre une balise GPS nous ont révélé qu’ils pouvaient parcourir 1 000 km. Ils vont là où il y a du gibier, du calme et des endroits pour se cacher. » Aujourd’hui, ils sont environ 350 en France, essentiellement dans les Alpes.

Il était près de minuit quand Francis Knipper, responsable de la salle de cinéma, a pu fermer les portes. Le lendemain matin, une autre projection était réservée à 93 collégiens. « Les questions n’arrêtaient plus. Elles étaient très personnelles, les jeunes ont vraiment compris le sujet du film. Jean-Michel Bertrand est parti enchanté de son passage à Wingen-sur-Moder », se réjouit-il. Il promet une nouvelle séance le 9 février, mais sans le réalisateur.

Ce dernier a poursuivi sa route. En effet, le ciné-débat autour de « La vallée des loups » a été déployé dans l’ensemble des salles du réseau Amitié +, en partenariat avec l’office national de la chasse et de la faune sauvage, l’observatoire des carnivores sauvages et le groupe d’études et de protection des mammifères d’Alsace. Ainsi, le réalisateur était vendredi à Erstein, samedi à Marckolsheim, et il sera cet après-midi à 16 h au foyer de la culture de Dannemarie.
Pendant trois ans, Jean-Michel Bertrand s’est intégré dans le territoire des loups. Photo Bertrand Bodin